Au Viêt Nam, lorsque survient le décès d’un individu, les vivants doivent en prendre soin, au point de vue physique comme spirituel. La famille doit alors veiller à la bonne orientation des différentes âmes individuelles et tous les rites d’accompagnement sont décisifs pour le bon repos du défunt comme pour l’avenir des vivants.
Autrefois, les dispositions rituelles donnaient lieu à des pratiques beaucoup plus complexes qu’aujourd’hui. Les changements sociaux, comme ailleurs, ont influencé les pratiques cultuelles et culturelles en générant d’autres manières de faire qui restent néanmoins riches et diverses.
Lorsque la mort est constatée, les premiers soins commencent. L’épouse (ou le fils aîné) veille à l’entretien du cadavre : des nuits de veille sont organisées, la toilette et l’habillement du mort sont effectués. Très vite, un portrait photo du défunt est mis près du corps, sur une table où un bol de riz, des bâtonnets d’encens et des fleurs sont déposés.
Le jour de l’inhumation, le fils aîné, après un salut, informe par des prières ses ancêtres de la prochaine arrivée de leur fils. Devant la porte de la famille endeuillée, un chariot fleuri, agrémenté de bannière noires et blanches, signifie au voisinage la prochaine cérémonie et donne à voir les diverses gerbes offertes. La famille, les amis, les voisins proches arrivent lentement pour se réunir auprès du cercueil. Celui-ci, dressé dans la maison familiale, sous un dais de coton blanc est posé sur un lit. Des bâtonnets d’encens, des bougies ainsi qu’un bol de riz cuit (ou du sel) avec un œuf bouilli sont placés sur le couvercle. Tout le quartier vient voir et, dans la cour, les musiciens se préparent à accompagner le cortège de leurs gammes aiguës.
Un discours solennel est prononcé par le frère aîné du défunt. L’adieu à la maison familiale est fait, le cercueil est amené jusqu’au chariot mortuaire. Le cortège se met en place.
Une jeune fille, l’aînée des petites filles du mort, porte le portrait du défunt et se positionne en tête du cortège funèbre. À l’avant, les musiciens se mettent aussi en place. À leur suite, vient le géomancien qui guidera tout au long de la marche les porteurs du cercueil. Le bol de riz et l’œuf devront rester à l’horizontale durant tout le voyage, sans cela le géomancien et les porteurs ne seront pas rétribués pour leur peine. Les deux fils cadets du mort ont pris place derrière le cercueil. Enfin, viennent les parents proches, les amis et les voisins de la famille.
Durant la procession, les proches de la famille jettent des rectangles rouges et blancs, quan tai « cercueil », destinés à occuper les mauvais esprits qui, piégés par leur gourmandise, s’attarderont à déguster ces friandises qui ne contiennent que du vide. Tout le monde fait bien attention à ne pas les écraser et l’on peut deviner leur présence par terre en regardant les mouvements d’écarts que font les individus suivant le cercueil. Une jeune femme qui ne porte aucun signe de deuil passe dans le cortège distribuant cigarettes et thé.
Après avoir parcouru une partie du chemin menant au « cimetière », le cortège marque une pause lorsqu’il parvient à une intersection de chemins : les Viêtnamiens croient que ces endroits sont fréquentés par des esprits. Durant cette pause, les deux fils cadets ne bougent pas de leur place. Les femmes et les hommes de la famille veillent à ce que de nombreux bâtonnets d’encens restent allumés, de nombreux quan tai sont jetés, des cigarettes, du thé sont offerts. Puis la colonne funèbre repart.
Lorsque la file endeuillée parvient à l’endroit où la bière doit être ensevelie, celle-ci est transportée près de la fosse. Les porteurs s’évertuent à la déposer de façon horizontale mais si un faux mouvement fait bouger le cercueil, c’est toute l’assemblée qui s’émeut. De nombreux bâtonnets sont allumés et les pleurs deviennent plus bruyants et plus aigus. Tout autour de la fosse, les jeunes membres de la famille allument des bâtonnets sur les tombes entourant celle de leur membre défunt afin que les anciens locataires soient bienveillants avec le mort. Les fils cadets sont près de la fosse, accompagnés par la femme du défunt. Le portrait n’est plus tenu par la jeune fille, un jeune homme l’a remplacé et se poste à hauteur de la tête du cercueil : il ne bougera pas de cet endroit jusqu’au départ de la famille.
Lorsque le cercueil est en place, chaque membre de la famille jette une poignée de terre sur le cercueil et l’ensevelissement commence. Des femmes de la famille allument des bâtonnets d’encens sur toutes les tombes à proximité de celle du mort. Lorsque le cercueil n’est plus visible et qu’un monticule a été formé, les couronnes offertes sont disposées sur le tertre et le portrait photo est déposé au pied du cercueil. Des papiers votifs sont brûlés tout autour du tombeau que la famille entoure ; le frère du défunt remercie l’assistance. Les amis et voisins se retirent et seule la famille reste autour du tombeau. Ils saluent par trois fois le cercueil et souhaitent un bon repos au mort puis, dans un concert de sanglots, la famille fait ses ultimes adieux en faisant le tour du tombeau, de droite à gauche ; les deux fils restent face au cercueil enseveli et partent les derniers. Le jeune homme reprend le portrait photo pour aller le déposer sur l’autel domestique de la maison familiale.
Le retour à la maison se fait sans aucun ordre précis mais personne ne reprendra le chemin emprunté lors du départ. Un rafraîchissement est offert (Tra no miêng : « en remboursement des dettes de la bouche ») à tous les invités alors que la femme et un des fils cadets se rendent auprès de l’autel domestique afin de confirmer la venue du défunt dans l’autre monde et lui souhaiter la bienvenue sur son nouveau support. Cet enterrement temporaire sera suivi d’un enterrement définitif. Lorsque le géomancien aura décidé d’une date propice, les restes seront déterrés et un autre enterrement aura lieu. Lors de ce nouvel et dernier ensevelissement, une tombe de pierre recouvrira les restes mortuaires. Cette cérémonie se célèbrera avec moins de faste que la première et confirmera le statut du mort comme ancêtre familial.
Les dispositions relatives à l’inhumation des défunts tendent à se modifier parallèlement aux changements sociaux survenant dans le pays. Pour les Viêtnamiens vivant en France, ces pratiques ont du être simplifiées mais elles restent tout de même un point névralgique dans la vie familiale et individuelle de l’ensemble des Viêtnamiens.