Le Nouvel An Vietnamien 1Le Têt, ou Nouvel An Viêtnamien, commence le premier jour du premier mois de l’année lunaire. C’est la fête la plus importante, la plus attrayante et la plus pittoresque de toute l’année. En effet, le Têt est par excellence la fête des sons, des parfums et des couleurs. Les tons les plus chauds et les teintes les plus vives, sont présentes à chaque étalage, à chaque devanture, dans chaque intérieur et sur tous les habillements : le rouge sang des panneaux de caractères chinois, le blanc crémeux des chrysanthèmes épanouis, l’orange vif des tranches de pastèques, le vert veiné des pamplemousses juteux, le jaune safran des mandarines, le rouge grenat des cochons laqués, le jaune d’or des Ochnacées en fleurs, les robes étincelantes des femmes etc., tout révèle la splendeur de la Nature comme l’intensité de la joie de vivre, agrémentées de musique, de pétarades et embaumées d’arômes les plus subtils, depuis les senteurs nuancées des narcisses jusqu’aux parfums grisants des bâtonnets d’encens.

Les ménages les plus riches comme les moins fortunés se livrent à des dépenses extraordinaires. Déjà au 7e jour avant le Têt, les solennités commencent. Les chefs de famille allument les chandelles sur l’autel des ancêtres et brûlent du santal dans les encensoirs. Alors sont présentés aux génies gardiens du foyer, des plateaux de friandises et des articles en papier représentant un héron, un cheval, une paire de bottes, une robe de Cour et une toque de mandarin : C’est la cérémonie du rapport annuel au Tout-Puissant sur le comportement des humains placés sous leur surveillance tutélaire. Les chefs de famille viennent se prosterner devant l’autel, invitent les Génies à goûter aux mets choisis, et à déguster différentes liqueurs aromatisées. Puis, après les génuflexions rituelles, ils formulent le voeu que le rapport annuel qui sera fait là-haut ne leur sera pas défavorable. Les offrandes en papier sont alors brûlées; grâce à leurs nouveaux vêtements de Cour, les dieux auront bonne figure, les montures fournies rendront moins pénible leur déplacement. Quelques tirades de pétards les accompagnent à leur départ au Ciel. Après les libations des Dieux vient le repas des hommes: les enfants descendent les mets des autels et toute la famille s’en donne à coeur joie. Mais ce n’est là qu’un prélude car les préparatifs continuent de plus belle.  Les femmes n’arrêtent pas d’empaqueter du riz gluant pour leur pudding du Têt, et de piler de la viande pour en faire du pâté. Les enfants se mettent à astiquer les bronzes : encensoirs, brûle-parfum, crachoirs, tous ces objets verront leur couleur virer au jaune d’or éclatant. La propreté du logis est minutieusement refaite. Et tous les intérieurs se décorent de fleurs, de feuilles et d’idéogrammes,: fleurs en pots, fleurs dans les vases, plantes artificiellement rabougries pour figurer des arbres centenaires, envahissent la pièce principale, tandis que les colonnes s’ornent de sentences parallèles et que les murs se couvrent de poésies, souhaits délicats qu’on formule pour la nouvelle année à soi-même, à sa famille et à la nation entière. Une longue perche de bambou pourvue d’une touffe de feuilles et de quelques amulettes est plantée devant chaque maison, la signalant aux parents défunts et aux dieux favorables, pour qu’ils ne se perdent pas en chemin, en même temps pour avertir les esprits malfaisants qu’ils ne doivent pas s’approcher.  Le dernier jour avant la fête, à partir de midi, les rues se vident, les marchés peu à peu deviennent déserts. Dans les demeures les autels s’illuminent de gros cierges et se garnissent de coupes chargées des fruits de la saison: dans les brûle-parfum, du bois d’aloès est mis à brûler, tandis qu’on allume les bâtonnets d’encens, et les volutes de fumée montent jusqu’au toit. Des victuailles savamment préparées sont placées à même l’autel et la famille se réunit pour attendre les mânes des trépassés A minuit sonnant, la coutume veut que les âmes des défunts reviennent sur terre. Les vivants sont là pour les recevoir, debout devant l’autel, l’air grave. Des salves de pétards font partie du cérémonial d’accueil : elles vont se succéder jusqu’à l’aube. A l’intérieur des maisons la fumée emplit l’air de mystère. Tout le monde à tour de rôle se prosterne trois fois pour souhaiter la bienvenue aux ancêtres. Des liqueurs parfumées remplissent les verres. Le chef de famille s’incline profondément, murmurant l’invitation aux mânes des ascendants disparus à ce premier repas de printemps et à partir de ce moment, tous les problèmes humains qui d’ordinaire engendrent les soucis seront mis de côté une trêve générale s’impose à tous les tracas de la vie quotidienne. Tous les faits et gestes de ce premier matin seront surveillés, parce que tout sera sujet à interprétation : la superstition règne en maîtresse. Chacun guette à travers la nuit le premier cri d’animal qui lui parviendrait à l’oreille : S’agirait-il d’un coq ? Présage de mauvaise récolte, parce que le gallinacé va picorer tous les grains1 Un cri de buffle? Nous aurons une année laborieuse. Avec l’aboiement d’un chien, nous ne nous ferons pas voler Dès l’aurore naissante, tout le monde se lève plus tôt que de coutume, les enfants mettent leurs vêtements neufs et toujours plus largement coupés que leur taille, car le voeu de toutes les mères est de voir leur progéniture grossir et grandir durant l’année. Et les parents reçoivent les voeux respectueux des enfants, qui se prosternent devant eux jusqu’à terre. Mais ce qui caractérise le plus cette première journée de Printemps, c’est son aspect religieux : alors que des repas copieux sont présentés aux ancêtres trépassés puis servis aux enfants, la majorité des adultes s’abstient de manger pour se rendre plus allègrement aux pagodes.

Les visites du premier Jour de l’An sont rares, parce que la personnalité du visiteur influe sur la destinée de la famille visitée pour les 365 jours qui suivent. Une personne en deuil, comme une femme en état de grossesse, devra éviter de sortir. Seuls les gens vertueux et fortunés apportent une année heureuse. Une bonne situation sociale, ainsi qu’une abondante progéniture, sont requises de tout visiteur du premier jour. Les visites de courtoisie et de bon voisinage doivent être reléguées aux jours suivants. Certaines familles précautionneuses vont jusqu’à fermer hermétiquement leurs portes et solliciter la visite de gens de marque, qui répondent à leur désir, et de longs souhaits conçus sur le triplet ” Prospérité, Longévité, Bonheur “. Durant ces premiers jours, il est interdit de se quereller, de jurer ou de proférer des paroles qui attirent le mauvais sort et sont génératrices de malchance. On ne cassera pas la vaisselle: ce serait de mauvais augure. Couture et balayage sont choses défendues, parce qu’ils annoncent peine et sueur pour toute l’année. Les mouvements du balai sur le plancher risquent en plus de chasser le génie de la prospérité. Bien entendu, on n’entendra aucune parole grossière; aucun nom d’animal, que ce soit celui du singe, du porc ou du chien, ne sera utilisé dans la conversation courante, afin de ne pas attirer la malchance. Pendant ce temps, les cérémonies rituelles continuent. Les offrandes aux ancêtres se renouvellent et d’autres offrandes viennent s’y ajouter pour d’autres Esprits. A chaque métier son culte : le laboureur rend un pieux hommage à sa charrue, l’artisan à ses outils, et les génies protecteurs de ces instruments sont comblés de fleurs, d’encens, d’alcool et de mets. Quant aux lettrés, pour ouvrir l’Année nouvelle, ils inaugurent leur pinceau, glorifiant les fleurs et le Printemps. Ce sont les jours où la production littéraire est la plus abondante. Les poètes chantent le renouveau de la Nature. Et les murs des demeures fortunées comme ceux des plus humbles logis, se couvrent de caractères calligraphiés sur papier écarlate. Les soirées se passent dans une liesse générale. Les jeux de hasard, les devinettes et la déclamation des vers anciens sont les passe-temps favoris. C’est aussi l’époque où le théâtre traditionnel est à l’honneur parce que chaque spectateur y cherche un présage pour l’avenir. Et quand le crépuscule descend sur le 3ème jour de la fête, on célèbre l’adieu aux disparus.On les accompagne en brûlant beaucoup de papiers votifs, or et argent, qui constituent un viatique pour leur retour dans l’autre monde. Au 7ème jour, on baisse la longue perche de bambou aux amulettes, et à partir de ce jour les êtres vivants retourneront à leur vie de nouveau dépouillée de ses rêves. Mais le Têt ne cesse pas encore et la fête continue doucement chez beaucoup de gens jusqu’au jour où leurs ressources seront épuisées et où ils se décideront enfin à reprendre leurs activités quotidiennes normales.

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